34 – LA VENGEANCE DE FANTÔMAS
— Oui ! j’y suis !
Arrêtant sa course échevelée au sommet du perron, Fantômas, d’un geste rapide et sûr s’introduisit dans la maison, puis s’y enferma à double tour.
Le bandit parcouru les pièces obscures et froides du rez-de-chaussée, s’assurant que les fenêtres étaient rigoureusement closes, que nul ne pouvait pénétrer derrière lui, sans forcer une serrure ou casser une vitre ou briser un volet.
— Ah ! ils ne me tiennent pas encore, grogna-t-il.
La filature de Juve était bonne à Nogent, mais une « soixante chevaux » a vite raison des bicyclettes de la Préfecture.
— Oui, songeait le mystérieux bandit, il est bien évident que la filature de Juve ne s’arrête pas aux alentours de la Congrégation de Sainte-Clotilde ; cet animal de policier fait aussi surveiller cet hôtel... eh bien, soit, qu’ils y viennent donc ! je...
Le monstre prêta l’oreille :
Trois appels de trompe avaient lugubrement retenti dans le silence de la nuit.
Fantômas qui les avait comptés anxieusement, se dit :
— Trois fois ! c’est le signal. Mon mécanicien est arrêté...
Des bruits de pas se firent entendre.
Dans le rayonnement d’un réverbère, Fantômas, soudain, distingua la silhouette de son chauffeur. Celui-ci, entre une dizaine d’agents de police, marchait la tête basse, les mains entravées.
Il venait d’apercevoir un peu sur la droite, négligée par la police, la voiture automobile qui l’avait amené à Neuilly.
— Braves policiers ! s’écria Fantômas. Tout va bien, les voilà qui laissent la soixante chevaux à ma disposition pour tout à l’heure !
Mais, pensa-t-il en redescendant au rez-de-chaussée, ne perdons point de temps, l’arrestation du mécano prouve que la filature de Juve existe et je parierais quelque chose que cet excellent policier, flanqué de son sempiternel journaliste ne va pas tarder à arriver ici… soit !... Juve, ce n’est pas en maître que tu entreras dans cette maison mais en condamné !
Fantômas, dès lors, s’absorba à une besogne étrange qui retenait toute son attention. Sur le plancher du cabinet obscur placé derrière l’office et où aboutissaient les installations électriques de la maison, le bandit disposait avec mille précautions la fusée qu’il avait extraite de son ample manteau.
Fantômas adapta à l’extrémité de cette fusée deux fils électriques que préalablement il débarrassa de leur isolant, puis ayant vérifié la position des manettes du tableau de distribution, le mystérieux personnage dissimula la cartouche sous un petit couvercle de bois qui semblait être une planchette oubliée là par hasard.
Il sortit alors du cabinet, ayant soin d’en fermer la porte à double tour.
— Tout à l’heure, grogna-t-il avec un sourire sardonique, lorsque les policiers seront dans la maison, ils assisteront, et j’ose même dire, ils prendront part, au plus beau feu d’artifice qui leur sera jamais donné de voir ! La dynamite sait transformer une honnête maison bourgeoise en un bouquet étincelant de pierres de taille et de barres de fer qui constitueront la sauce impitoyable à laquelle Juve et sa bande vont être mangés !
Tel était, en effet, l’accueil effroyable que Fantômas réservait à ses adversaires : il avait tout disposé dans l’immeuble pour le faire sauter au moment propice et cela en comptant bien que lui-même, auteur de l’attentat, s’en tirerait sans la moindre égratignure.
Si Juve et Fandor, lorsqu’ils avaient minutieusement visité l’hôtel sous prétexte de l’acheter, avaient apporté une attention plus détaillée à l’examen des canalisations électriques, ils auraient vu que certains fils sortaient de l’immeuble, s’enfonçaient dans le sol du jardin, puis réapparaissaient tout à l’extrémité de la propriété, dans un vieux bûcher abandonné ; à la charpente de ce bûcher, était adapté un commutateur de fortune qui vraisemblablement devait permettre de commander un des circuits de l’habitation.
C’était de là que Fantômas avait décidé qu’il provoquerait l’explosion au moment où Juve arriverait !
Le criminel avait achevé ses préparatifs.
— Et maintenant, se dit-il, vite au bûcher d’où je les verrai venir, s’approcher de la maison, l’entourer, y entrer, peut-être... sûrement ils ne tarderont pas... filons !
Fantômas allait quitter l’hôtel. Déjà, il s’avançait sur le perron lorsque, étouffant un juron, il fit soudain volte-face...
***
En arrivant au commencement du boulevard Inkermann, Juve avait arrêté son taxi-auto ; il en descendait avec Fandor.
L’agent Michel surgit de l’ombre :
— C’est vous, chef ?
— Eh bien ! mon brave, répondit Juve, l’oiseau est donc au nid ?
— Oui, chef...
— Et la cage ?...
— La cage est bien surveillée chef, je vous l’assure ; quinze de mes hommes, les plus éprouvés montent une garde sérieuse autour de la maison. Il est impossible que l’individu parvienne à s’échapper... à moins que...
Michel s’arrêtait, Juve insista pour connaître sa pensée :
— À moins que ?
— Ma foi, conclut Michel, à moins que la bâtisse ne soit truquée comme celle de la cité Frochot...
Mais Juve eut un sourire rassurant :
Juve était sûr de lui ! Dès qu’il y songeait, il voyait par la pensée l’hôtel en tous ses détails. Les plus petits des recoins lui apparaissaient nets et précis. Dans cet ordre d’idées, on n’avait pas la moindre chose à craindre. Fantômas ne s’échapperait pas.
Juve, autour duquel deux ou trois gradés étaient venus se grouper, donnait des ordres brefs :
— C’est l’affaire de dix minutes, maintenant... en avant, mes enfants et de la prudence... pas d’attaque au revolver, le moins possible de défense. Il faut prendre notre homme et le prendre vivant. Voici la consigne... Vous, les brigadiers, vous entrerez avec l’inspecteur Michel, derrière moi, dans la maison. Les hommes continueront à garder les alentours.
Juve s’interrompit brusquement : tout en parlant, il ne perdait pas des yeux le perron de l’hôtel. Or, le policier venait de voir la porte s’entrouvrir, Fantômas apparaître, puis aussitôt, se cacher à nouveau dans l’intérieur de la maison :
— C’est lui ! Enfin !... s’écria Juve.
Et le policier n’écoutant que son courage, avec une audace inouïe, s’élançait sans se dissimuler vers l’habitation silencieuse et obscure. Sur ses talons, courait Fandor :
— Hardi Juve ! nous le tenons !
Mais Juve avait trop de sang-froid pour ne pas comprendre le danger de cet élan enthousiaste.
Devant la porte d’entrée, il s’arrêta :
— Du calme, messieurs ! recommandait-il à l’agent Michel et aux brigadiers qui le suivaient avec Fandor ; nous sommes maintenant certains de la victoire, il est inutile de la compromettre par de la témérité... Vous allez garder le rez-de-chaussée, tenez-vous chacun dans une pièce et n’en bougez que s’il y a lieu. Quant à moi, je monte...
— Juve ! interrompit Fandor...
— Fandor ?
— Je vous accompagne... moi !
Juve, hésitant un instant regarda le jeune homme ; le visage de celui-ci exprimait une volonté si nette que le policier n’osa refuser :
— Tu m’avais pourtant promis d’être raisonnable, de ne pas t’exposer inutilement, enfin, tu as été à la peine, sois donc à l’honneur ; viens ! seulement, prends garde... Fantômas nous a vus et il sait que nous n’ignorons pas sa présence, il ne se laissera pas arrêter sans...
Fandor hochait la tête :
— Nous verrons bien !
Les brigadiers et Michel s’étaient rendus aux postes qui leur étaient assignés : Juve et Fandor s’éclairaient de leurs lampes électriques de poche qui projetaient une vive lueur, cependant que le policier et le journaliste demeuraient dans l’ombre.
Tous deux montèrent précautionneusement l’escalier du premier étage :
— Fantômas ! cria Juve en s’arrêtant sur le palier, vous êtes pris, rendez-vous !
Mais la voix du policier n’éveilla que des échos lointains, l’hôtel était silencieux. On aurait juré qu’il n’abritait aucun être humain !
Juve modérait l’impatience de Fandor :
— Attention, lui conseilla-t-il tout bas, voici comment il faut procéder : il y a au-dessus de nous un grenier, visitons-le d’abord, s’il est vide, nous le refermerons ; nous redescendrons ensuite, examinant chaque pièce, une à une, la refermant également. De la sorte, si Fantômas fuit devant nous dans le dédale de ces appartements qui, tous, communiquent entre eux, nous finirons par l’acculer au rez-de-chaussée, dans le vestibule et là...
— Faisons vite !
Le calme de l’hôtel était angoissant, terrible.
Fandor et Juve parvinrent au grenier, le revolver au poing, les yeux écarquillés :
Au moindre bruit, recommanda encore Juve, jette-toi à terre et laisse Fantômas tirer le premier, la lueur du coup nous indiquera d’où il part...
Les deux chasseurs d’homme balayaient des rayons lumineux de leurs lampes l’intérieur du grenier.
Fandor suggéra :
— Les toits ?
— Rien à examiner de ce côté, je connais trop Michel pour ne pas être assuré qu’il a posté deux ou trois hommes sur la toiture et au surplus, ce n’est pas par là que Fantômas aurait l’idée de s’en aller...
— Alors Juve ?...
— Alors Fandor, un rapide coup d’œil aux chambres de bonnes, nous visiterons ensuite le premier étage, le rez-de-chaussée, et c’est bien le diable...
Tous deux s’entretenaient à voix basse et leurs voix ne tremblaient pas.
Au premier étage, Juve réprimait un léger tressaillement, car le bouton de la porte accédant à la chambre de lady Beltham avait sinistrement grincé...
Fandor et lui se jetant de côté, ouvrirent brusquement, s’attendant à essuyer un coup de feu.
Ils en étaient pour leurs précautions ; la pièce était vide, aucune trace de Fantômas !
Juve et Fandor passèrent dans une autre pièce, dans la suivante, en bouleversèrent les meubles, puis, dès qu’ils eurent achevé leur visite domiciliaire, refermèrent à clé l’appartement dont ils sortaient.
— Au rez-de-chaussée, suggéra Juve en commençant à descendre l’escalier, n’oublions pas de perquisitionner derrière l’office...
Juve songeait en s’exprimant ainsi, au petit cabinet noir dans lequel il ignorait que Fantômas, un quart d’heure auparavant, avait disposé une cartouche de dynamite commandée par deux fils électriques.
C’était peut-être l’instinct qui le guidait vers ce lieu, et le policier n’allait pas négliger de le visiter.
Soudain, comme il arrivait au bas de l’escalier et débouchait au fond du vestibule, Juve eut un soubresaut :
De la porte du salon, une ombre, noire des pieds à la tête, avait bondi !
Vive comme la foudre, l’ombre traversait l’antichambre, puis se précipitait par une entrée basse dans la cave.
Deux coups de feu retentirent.
***
Derrière lui, Fantômas venait de pousser un gros verrou et se félicitait de la barrière qu’il mettait ainsi entre ses poursuivants et lui. La porte qui faisait communiquer le rez-de-chaussée de l’hôtel avec les sous-sols, était une robuste porte de chêne, lourde et massive, que l’on n’enfoncerait pas de sitôt.
Le bandit descendit avec un calme extraordinaire les quelques marches qui conduisaient au bas de la cave.
Fantômas, depuis vingt minutes environ, fuyait devant Juve et Fandor, leur cédant pas à pas du terrain, jouant une terrible partie de cache-cache, ayant pour enjeu son existence, et dont le sinistre bandit n’aurait pu triompher qu’à la condition de détruire les douzaines d’adversaires attachés à ses trousses, avec les six balles de son revolver. En dépit de son admirable confiance en soi, Fantômas éprouvait une certaine inquiétude, une incontestable émotion. Sa cagoule noire adhérait à ses tempes trempées de sueur, le bandit avait dans ses mouvements des gestes nerveux.
À pas de loup, Fantômas traversa le sous-sol et s’approcha du petit soupirail qui communiquait avec l’extérieur, sur le jardin.
— Par là, pensa-t-il, je vais sans doute pouvoir fuir, à moins que...
Fantômas dépité, cessa son examen, revint au milieu de la cave :
— Malédiction ! grommela-t-il, ils sont trois agents devant cette issue ; inutile d’essayer de sortir par ici...
Le bandit fit craquer une allumette et d’un coup d’œil considéra l’endroit où il se trouvait, et qu’il connaissait d’ailleurs mieux que personne.
Oui, Juve avait eu raison lorsqu’une heure auparavant il avait garanti à l’inspecteur Michel que l’hôtel de Lady Beltham n’était pas truqué comme la maison de la cité Frochot ; les murs du sous-sol, en effet, se dressaient menaçants, immuables et, Fantômas les contemplait, sachant d’avance qu’ils constituaient de ces barrières que l’on ne renverse pas !
Évidemment, Fantômas avait un certain répit. Quelques instants de loisir. Il percevait de temps en temps les coups sourds assenés dans la porte de la cave par Juve et ses hommes, mais la robuste fermeture résistait. Toutefois, la situation ne pouvait se prolonger.
Il fallait, soit sortir de ce sombre cul-de-sac, soit déterminer Juve à relâcher sa surveillance, voir même à s’en aller :
Ah ! si le contact électrique, au lieu d’être au loin sous le bûcher, avait été installé dans le sous-sol, Fantômas confiant en sa bonne étoile, n’aurait pas hésité à faire sauter la maison, conservant seulement pour lui la chance très problématique de n’être pas atteint par les éclats de l’explosion !
Hélas...
En face de Fantômas se trouvait le calorifère délabré au foyer éventré et dont le large tuyau montant entre les plafonds et les planchers s’ouvrait béant à l’intérieur de la cave.
Fantômas réfléchissait. À ses pieds miroitait la citerne que lors de la visite domiciliaire de Juve et de Fandor – oncle et neveu pour la circonstance – le concierge avait accusée de donner tant d’humidité. Ses eaux glauques croupissaient ; l’allumette avec laquelle le bandit s’était éclairé et qu’il jeta, grésilla sur la surface liquide.
Soudain, Fantômas crispa des poings. Sous la poussée plus violente du policier et de ses hommes, la porte de la cave cédait. Au milieu du fracas des planches et des ferrures dégringolant les marches de pierre, la voix de Juve :
— Fantômas ! rendez-vous !...
Il y eut un instant de silence absolu..., poignant !
Ainsi donc, les irréductibles adversaires, bien que ne se voyant pas encore, étaient enfin l’un sur l’autre, sur le point de se toucher.
Qu’allait-il se produire ?
Fantômas, à tâtons, chercha dans les ténèbres.
Sa main moite rencontra une bouteille...
Un cliquetis de verre qui s’éparpille retentit : Fantômas qui avait pris la bouteille par le goulot venait de la briser contre le mur...
***
Juve, le revolver au poing, suivi de Fandor, descendait avec précaution l’escalier conduisant à la cave ; les deux hommes étaient braves et pourtant ils sentaient leur cœur battre à tout rompre.
Le dernier acte se jouait. Fantômas qu’ils avaient vu entrer dans cette étroite cave n’avait pas pu en sortir, le bandit était là; dans un instant, trois secondes, deux, ils allaient se trouver face à face avec lui, et enfin éclaircir le mystère, la série de mystères qui, depuis si longtemps, ne leur avait laissé aucun répit.
Oui, Fantômas était là, acculé par Juve, traqué dans un réduit, presque dans un cachot. Il appartenait au policier, mort ou vif, on le tenait !
Juve avait atteint la dernière marche, son pied se posa sur le sable fin qui constituait le sol de la cave. Il appuya sur le bouton de sa lampe électrique, un jet de lumière illumina la petite pièce...
Elle était vide.
Soudain, Juve courut au soupirail : il aperçut les trois agents qui, l’arme au poing, en menaçaient l’ouverture. C’eût été la mort certaine pour quiconque aurait songé à fuir par là.
Juve fit le tour de la cave, examinant attentivement les murs, les sondant de la crosse de son revolver : les murs rendaient un son mat, ne comportaient aucune fissure suspecte. La rugueuse meulière était impénétrable.
Avec Fandor il contourna la margelle de la citerne dont l’eau profonde miroitait au scintillement de la lampe électrique. Sa surface était noire, calme. Une bouteille cassée qui flottait la tête en bas demeurait à demi-immergée, rigoureusement immobile.
Où était passé Fantômas ?
Soudain, rompant cet impressionnant silence, Fandor posa la main sur le bras du policier :
— Avez-vous entendu ? interrogea-t-il d’une voix inquiète.
Juve hocha la tête. Fandor après une pause, reprit :
— Quelqu’un a respiré ici...
Juve, désormais, – il avait été comme Fandor, frappé par un chuchotement qui ressemblait en effet au bruit de la respiration humaine, – se demandait s’il rêvait ou s’il était le jouet d’une illusion.
Non, sans doute ! on avait bien respiré ; son oreille ne l’avait pas trompé et pourtant il n’y avait personne dans la pièce.
Mais tout d’un coup, le policier secoua son compagnon par l’épaule, et levant la main vers le tuyau du calorifère, s’écria :
— Imbécile que nous sommes, il est là-dedans ! Parbleu ! Nous savons mieux que personne combien il est aisé de s’introduire dans ces énormes canalisations... mais que fais-tu donc ?
Juve retenait Fandor qui, d’un geste instinctif, se précipitait vers l’orifice du large conduit, le revolver pointé en avant :
— Ma foi, expliqua le journaliste, j’allais décharger mon browning là-dedans, histoire de savoir...
Juve modéra cette ardeur agressive et, avec un sourire féroce :
— Il nous faut Fantômas vivant. Or, nous avons ici de quoi l’obliger à sortir...
Le policier venait de découvrir dans un angle une ample provision de bottes de paille qui craquèrent au contact des mains :
— Voilà ce qu’il nous faut, s’écria-t-il, mon vieux Fandor !
Pour célébrer la prise de l’invincible Fantômas, nous allons allumer un feu de joie !
Le journaliste avait compris les intentions du policier...
Tous deux, désormais, enfournaient à pleins bras les longues pailles dans l’ouverture du calorifère, puis, celle-ci bourrée à éclater, ils allumaient le feu...
Le tirage s’établissait aussitôt, les flammes surgirent soudaines, crépitantes, lumineuses, cependant que dans le conduit du calorifère montait une acre fumée, épaisse, noire !
— Et maintenant, cria Juve, en s’élançant dans l’escalier qui remontait au rez-de-chaussée de l’hôtel, tandis que Fandor courait derrière lui, et maintenant, aux bouches du calorifère ! faisons sauter les grilles pour aider Fantômas à la sortie !...
Brigadier !... Michel !... par ici !...
Juve, tout joyeux, donnait des ordres rapides ; par les orifices, dans les pièces du rez-de-chaussée, le calorifère commençait à fumer…
***
Une bouteille brisée, dont le fond manquait, flottait, la tête en bas sur l’eau noire de la citerne, creusée au milieu de la cave.
Juve et Fandor venaient à peine de s’en aller que l’eau s’agitait et que peu à peu remontait à la surface la mystérieuse bouteille ; derrière elle surgissait la tête de Fantômas, toujours enveloppée de la cagoule noire, qui désormais adhérait au visage, comme un masque moulé sur les traits.
Ruisselant, le bandit sortit de la citerne et rejeta au loin le tronçon de la bouteille dont il avait maintenu le goulot dans sa bouche afin de pouvoir respirer et communiquer par cet intermédiaire avec l’air, pendant qu’il demeurait immobile, plongé au fond de l’eau.
Fantômas souffla quelques instants ; en dépit de son ingénieux dispositif pour alimenter ses poumons, il suffoquait presque :
— Hé, grogna-t-il. Fantômas n’est pas encore tout à fait imbécile !... c’est égal, si je ne m’étais pas souvenu soudain du procédé employé par les Tonkinois qui, pour se dissimuler, s’étendent au fond d’une rivière et y demeurent des heures entières, en respirant par l’intermédiaire de roseaux creux, je crois bien qu’à l’heure actuelle nous aurions échangé quelques balles... avec résultat !
Fantômas était encore en train de tordre ses vêtements lorsque de grands cris retentirent au-dessus de sa tête, deux ou trois détonations éclatèrent ; en même temps se créait un mouvement subit d’allées et venues autour de la maison, mouvement qui n’échappait pas à la perspicacité toujours en éveil du bandit ; Fantômas en profita pour s’approcher aussitôt du soupirail par lequel il n’avait pas pu s’échapper, quelques instants avant, car trois agents en gardaient l’ouverture.
Il n’y avait plus personne, Fantômas passa la tête, les épaules...
***
— Ça y est, la bête est morte !...
Juve, désormais, se rapprochait de la bouche du calorifère, examinant curieusement l’être qui gisait inanimé sur le plancher : deux brigadiers tremblants se tenaient à l’entrée de la pièce, Fandor seul partageait la curiosité de Juve et aussi son étonnement :
— Par exemple, s’écria le policier, voilà qui n’est pas ordinaire, décidément, nous ne serons jamais au bout de nos surprises !
— Nous nous attendions à voir surgir Fantômas, et c’est un serpent qui nous saute à la figure !
Émergeant à moitié de la bouche du calorifère, le corps monstrueux et interminable d’un serpent boa gisait en effet sur le parquet.
Lorsque Juve et Fandor avaient achevé d’allumer à l’amorce du tuyau de calorifère les bottes de paille sèche, ils étaient remontés aussitôt pour appréhender, à la sortie de ce conduit le bandit qui, selon eux, s’y trouvait dissimulé... Et ils avaient attendu quelques secondes, à la bouche la plus rapprochée d’eux, lorsque soudain se dressait la tête énorme et effrayante du monstre contre lequel Juve avait lutté à maintes reprises, soupçonneux, certain de son existence, mais ne l’ayant jamais vu !
Certes, on ne savait pas quel pouvait être l’aspect de Fantômas ; certes, les agents que Juve avait amenés avec lui dans l’intérieur de la maison étaient des hommes résolus, prêts à tout, mais jamais ils n’auraient imaginé un seul instant que Fantômas pourrait affecter une forme aussi inattendue ! Et, terrifiés, terrassés par une peur irrésistible, ces hommes si braves devant le danger connu, s’étaient éloignés, fous, avaient fui vers les issues de l’hôtel, appelant au secours avec une telle angoisse que leurs collègues qui gardaient l’extérieur de la maison, ne respectant plus la consigne étaient immédiatement accourus auprès de leurs camarades.
Faute grave, immense !
Pendant ce temps, Juve en quelques coups de revolver adroitement tirés avait fracassé la tête hideuse du monstre.
Un instant le policier s’attardait à contempler sa victime, mais brusquement ramené à la réalité des choses :
— Trouvez-moi des marteaux, des pioches, hurla-t-il, enfonçons le plancher, Fantômas ne sort pas, c’est qu’il étouffe à l’intérieur, il veut mourir plutôt que de s’avouer vaincu... démolissons les conduits il faut l’avoir, il faut...
— Chef ! appela au dehors une voix terrifiée...
Juve se précipita à la fenêtre. Deux agents demeuraient figés au haut du perron, ils étaient postés à l’entrée du vestibule. Des bruits de pas précipités s’éloignant de la maison avaient soudainement attiré leur attention, mais abasourdis par le spectacle qui se déroulait devant leurs yeux, ils s’étaient sentis incapables de bouger.
Un être ruisselant, tout de noir habillé des pieds à la tête avait traversé le jardin, courant vers les communs...
Juve une seconde apercevait la silhouette du fuyard :
— Bon Dieu ! jura-t-il... le voilà qui se sauve ! Le policier n’acheva pas.
***
Comme il sortait de la cave par le soupirail dont la surveillance venait d’être interrompue, Fantômas avait bondi, libre !
Il grommela entre ses dents :
— Juve a eu la première manche. À moi la deuxième !
Fantômas atteignait le bûcher.
D’une main expérimentée il tourna le commutateur électrique qui allait dans l’instant même déterminer une étincelle dans le cabinet noir derrière l’office dans la maison.
Un quart de seconde s’écoula encore...
— À moi la belle ! hurla Fantômas tandis que retentissait une détonation formidable.
La terre trembla, une colonne énorme de fumée noire monta vers le ciel, des détonations éclatèrent de toutes parts... au fracas des écroulements se mêlèrent des cris affreux, des râles...
L’hôtel de Lady Beltham venait de sauter, ensevelissant sous ses décombres les infortunés qui avaient eu l’audace de s’acharner à la poursuite de Fantômas !
Assurément le bandit s’échappait une fois encore. Mais Juve et Fandor étaient-ils morts ?...